Dans le gouvernement mis en place le 6 juillet avec Jean Castex à Matignon, le ministère de la Mer a fait sa réapparition. Ce rétablissement arrive au moment où la pêche artisanale - qui vend ses produits dans les ports à la criée - a été fragilisée par un manque de débouchés provoquant une chute des cours. À l’inverse, la pêche industrielle, qui transforme souvent ses prises en produits de congélation sur le bateau, finira l’année 2020 en augmentant ses parts de marché. Quand chaque quota par espèce aura été atteint pour l’année en cours, on ne pourra plus débarquer les poissons concernés dans les ports. Du coup, les parts de marché des gros bateaux auront augmenté en 2020 au détriment de la pêche artisanale.
Ainsi, le « ministère de la Mer » est réapparu en ce mois de juillet 2020, après avoir été supprimé durant plusieurs années. Annick Girardin, nouvelle titulaire du poste après avoir été en charge de « l’Outre-mer », a publié un communiqué le 17 juillet pour préciser ses attributions. La pêche semble y jouer un rôle secondaire puisqu’il est seulement dit que ce ministère « définit et met en œuvre, en lien avec le ministre chargé de l’agriculture, la politique en matière de pêches maritimes, notamment en ce qui concerne la réglementation et le contrôle de ces activités et le financement des entreprises de la pêche », parmi une multitude de missions sur la navigation et la défense de l’environnement.
En France, comme dans les autres pays membres de l’Union européenne, l’avenir du secteur de la pêche est incertain et la crise pourrait s’aggraver dans les prochains mois. Le secteur de la pêche artisanale se trouve fragilisé du fait des mois de confinement on a provoqué une mévente et une baisse des prix. Parallèlement, les gros navires industriels continuaient de pêcher et de transformer beaucoup de poissons de différentes espèces pour la congélation. La part de la pêche industrielle, dans les quotas par espèce, a donc progressé depuis le milieu de l’hiver. Mais les quotas de pêche par espèce sont annuels en Europe. Chaque fois que le quota annuel par espèce sera atteint, la pêche artisanale ne pourra plus ramener cette espèce alors que son activité a été très réduite ces deniers mois.
La seconde raison des difficultés à venir de la filière tient au fait qu’il n’y a toujours pas d’accord entre la Commission européenne et le Royaume Uni sur les conditions de la sortie de ce pays de l’Union européenne qui doit être effective au 31 décembre de cette année. Le Royaume Uni est entouré par la mer et il veut réserver pour ses pêcheurs une zone d’exclusivité très au large de ses côtes, ce qui était impossible en étant membre de l’Union européenne. En France, les pêcheurs les plus impactés seront ceux des régions Hauts de France, Normandie et Bretagne, car ils sont les plus nombreux à pêcher dans les zones dont le Royaume Uni se réserverait l’exclusivité.
Exportations françaises en plus fort recul que les importations
Le conseil spécialisé de FranceAgriMer pour la pêche et l’aquaculture a récemment fait le point sur les conséquences de la pandémie de la Covid-19 et son compte rendu fait état d’une situation préoccupante. « Au cours des cinq premiers mois de l’année 2020, les ventes en halles à marée ont chuté de 24 % en volume par rapport à la même période de 2019. Les ventes en valeur ont suivi la même tendance (…) Les importations comme les exportations françaises de produits aquatiques affichent également un net recul en mars et avril (importations en baisse de 12 % en mars et de 24 % en avril, et exportations en baisse de 24 % en mars et de 30 % en avril en valeur par rapport à 2019) ».
On remarquera que la baisse des exportations est nettement plus importante que celle des importations en dépit de la fermeture des restaurants et cantines, laquelle s’est poursuivie jusque-là fin de mois de juin, ce dont FranceAgriMer n’a pu étudier les conséquences pour le moment. Son étude note que « sur les quatre premiers mois de l’année, les achats des ménages français en produits aquatiques frais affichent un repli de 13 % en volume et de 6 % en valeur ». Ce qui, pour une part, semble indiquer une forme de braderie pour certains produits frais. FranceAgriMer le dit en rappelant que « l’université Nantes-Atlantique (LEMNA) a construit un indice des prix des produits de la mer de 1994 à aujourd’hui. Cet indice permet de mesurer les prix à la première vente d’un panier composé des 50 premières espèces en valeur mises sur le marché. Alors que cet indice était en hausse en janvier et février 2020, les mesures de confinement et de fermeture de la restauration hors domicile se traduisent par une baisse de cet indice des prix qui s’est accélérée entre avril et mai, tendance inédite depuis 6 ans ».
Anticiper les impacts du Brexit et les autres défis à venir
De leur côté, en l’absence des marchés couverts et de plein vent des semaines durant, les ménages se sont aussi « reportés vers des produits frais préemballés et vers des produits de longue conservation (surimi, conserves et surgelés, dont les achats sont repartis à la hausse pendant cette période, après plusieurs années de baisse continue) », indique l’étude. Ce qui, pour des raisons évoquées plus haut, n’a pu que profiter à la pêche industrielle au détriment de la pêche artisanale de nos ports. Prudent dans son analyse, le Conseil spécialisé de FranceAgriMer, indique que « dans un contexte de reprise de l’activité très progressive et de marchés instables, la filière doit désormais capitaliser sur les enseignements de la crise, sur les outils et les bonnes pratiques mis en place pour y faire face, afin d’anticiper les impacts du Brexit et des nombreux défis sociétaux et environnementaux à venir ».
Car, assurément, le plus dur est encore à venir dans cette filière, suite à la crise de la Covid-19 dont les conséquences continueront de se faire sentier pendant encore longtemps sur le niveau de vie des artisans pêcheurs. Leurs pratiques sont pourtant beaucoup plus écologiques que celles des bateaux usines dont les immenses filets causent d’importants dégâts en raclant le fond des océans.
Gérard Le Puill
July 20, 2020 at 05:00AM
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La pêche artisanale risque d'être durablement fragilisée en France - L'Humanité
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